L'Art de l'écoute

La Musique n'est que l'organisation du silence...

Écouter…. Peu d’humains écoutent.

Souvent, ils entendent seulement.


Écouter, c’est être attentif.

Ne faire que cela. Pas en lisant, pas en surfant sur le Net, pas en bricolant. Écouter, tous sens ouverts…

Non seulement percevoir les sons, mais les décoder. Leur attribuer une signification, chercher leur sens le plus profond. Laisser éclore les résonances qui naissent en nous.


Écouter, c’est être disponible.

S’offrir à la musique. Laisser tomber le masque, oublier ses douleurs, ses soucis. Être vrais avec nous-mêmes.


Écouter, c’est apprendre.

Découvrir chaque jour de nouveaux sons, de nouvelles harmonies, venant de partout dans le monde.


Écouter, c’est partager.

Plus que les mots, la musique est un langage universel.

Elle lance des ponts entre les êtres et les choses.


Écouter, c’est comprendre.

La musique, les sons, venant des êtres, des objets, de la nature, nous connectent au plus profond du mystère de l’existence.

Tout « nous parle »… chants des baleines, vagues qui roulent sur les rochers, vent dans les arbres, clapotis de la rivière, musique des humains… qui n’est qu’une petite partie de la grande partition de la vie, faut-il le rappeler ?

Écoutez une musique de film sans les images…

Maintenant, regardez un film sans la bande-son.

Petite expérience simple, qui nous rappelle à quel point l’audition est essentielle pour nous.


N’oubliez jamais : si nos oreilles n’ont pas de paupières, c’est que la Vie l’a voulu ainsi. La vision, pourtant si privilégiée de nos jours, est « cadrée »… en fait, encadrée. L’audition, elle, s’étend comme une sphère tout autour de nous, et porte bien plus loin.

Pour nous qui vivons des vies aliénées, déconnectés de la nature, abrutis par la mécanisation à outrance, écouter c’est revivre.

Concrètement, quelles sont les implications dans notre domaine, la haute-fidélité?


Il faut cesser de seulement décortiquer les sons pour la fascination qu’ils exercent sur nous. Cette esthétique a sa justification, et offre aussi de beaux moments de plaisir, mais elle ne représente pas la fin en soi. Notre guide principal doit être la capacité de nos systèmes à nous faire vivre les émotions et l’enseignement de la musique.

Pour y parvenir, il n’est pas inutile de développer une méthodologie d’écoute.

En premier lieu, intégrer les notions d’objectif et de subjectif, de rigueur et de poésie. Un livre clé, simple et clair sur ces domaines est présenté dans notre section Littérature: le « Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes » de Robert M. Pirsig.


Beaucoup d’audiophiles choisissent leurs produits sur des bases très subjectives (loyauté aveugle à certaines marques, effets de modes, préconceptions sur les divers choix technologiques), tout en se convainquant d’être rationnels; puis ils écoutent « en audiophiles », avec leur cerveau logique.

C’est l’inverse qui doit se produire : il faut « garder la tête froide » devant les produits; ce ne sont que des objets techniques, parfois magnifiques en eux-mêmes, mais avant tout au service d’un Art, la Musique.

La fascination excessive pour les objets technologiques est un des errements de notre « civilisation »; c’est le comportement d’enfants gâtés et perdus, qui se focalisent sur « l’avoir » au lieu de « l’être ».


Assembler un système se fait de manière calme, rationnelle… et simple : jugez le produit comme vous jugeriez un piano... ou un plat cuisiné.

Pour le piano, personne au monde, du débutant au musicien accompli, n’est assez naïf pour demander quelle tension est appliquée sur les cordes, quelle marque de feutre est employée pour les marteaux, à quelle température le vernis est appliqué.

L’acheteur joue sur le piano, écoute… et décide.

Pour le plat cuisiné, c’est la même chose : a-t-on besoin de demander au cuisinier la marque de ses couteaux, de ses fours, s’il a coupé d’abord ses légumes ? Non, le jugement global se fait au résultat.


Quant à l’écoute… elle doit faire « parler les sens ». La Musique doit nous émouvoir, nous transporter, nous instruire, nous laver de nos soucis, et bien plus encore…


Il faut être en harmonie avec ses émotions, ouverts d’esprit, et disponibles. Le secret, c’est de juger un système avec un langage mental de musicien, pas d’audiophile. Tant que nous en sommes à décortiquer le registre aigu, par exemple, nous ne sommes pas connectés au contenu musical, mais à sa « surface ».


Pour y parvenir, la meilleure voie reste de se rendre régulièrement à des concerts de musique vivante. Un simple musicien de rue fait l’affaire, si l’accès à une bonne salle de concerts est difficile ! Des instruments non amplifiés – et ceci inclus bien sûr la voix, dont notre cerveau garde une empreinte si fiable – sont préférables, pour éviter d’ajouter une étape de reproduction électronique.


Comme toute démarche profonde, la quête d’un système de reproduction musicale n'a pas de fin. Comme le disent les taoïstes, le but importe peu; c’est le voyage qui est magnifique !


Pascal Ravach

L'Art de l'Écoute est un texte que j'ai écrit au début des années 80
pour expliquer mon approche de la Haute Fidélité.
J'ai préféré le garder dans sa fraîcheur d'origine,
et considérant l'obsession grandissante pour la technologie,
je pense qu'il est plus que jamais d'actualité !

© Mutine Inc. 2024